lundi 8 mars 2010

LES JEUX TELEVISES

Le français dans le monde, n°366
Nov-déc 2009

Si les jeux peuvent être considérés comme un genre télévisé mineur voire futile, ils témoignent pourtant des évolutions de la télévision et même de notre société.

Etant donnée la place que les jeux occupent dans nos sociétés, il est normal que les médias s’y soient très tôt intéressés. Ce fut d’abord le cas pour la radio qui, dès les années vingt, programma des émissions du type du « Jeu des mille francs » aujourd’hui encore diffusé sur France Inter. Née au début des années cinquante, la télévision va vite programmer des jeux qui supposent soit une performance intellectuelle (« Le mot le plus long » d’Armand Jammot), soit une performance physique (« Intervilles » de Guy Lux). Les deux pouvant être alliées comme dans la célèbre émission de Pierre Bellemare, « La tête et les jambes ».

Jeux et évolution de la télévision

Un regard historique porté sur les jeux montre bien que comme pour d’autres genres télévisés, les années quatre vingt, marquées par l’arrivée des chaînes privées, ont consitué un tournant pour les jeux télévisés. De 1960 aux années quatre vingt, il s’agit essentiellement dans les jeux de valoriser le candidat soit par son savoir culturel, soit par ses performances physiques. S’il faut noter que ces dimensions demeurent aujourd’hui, dans des jeux comme « Des chiffres et des lettres » ou « Questions pour un champion » tous deux rediffusés par TV5, les années quatre vingt se sont accompagnées de changements profonds.
Le premier concerne certainement la montée des gains culminant sans doute avec le jeu au titre évocateur « Qui veut gagner des millions ». On remarquera que le déplacement se fait ici au niveau même du titre puisque ce n’est plus la nature du jeu qui est évoquée mais le gain poursuivi. Il faut d’ailleurs noter que ce phénomène s’accommpagne aussi d’un déficit des connaissances demandées. Alors que celles-ci relevaient plutôt du domaine scolaire et de la culture générale, les émissions des années qutre vingt vont pouvoir les inscrire dans une pure dimension marchande. Dans « Le juste prix » il s’agissait par exemple de deviner le prix exact d’un objet à l’écran.
La montée en puissance du spectacle est sûrement le deuxième changement important survenu avec l’arrivée de ce que certains ont appelé la « néo-télévision ». Là encore comme dans d’autres genres télévisés, la télévision cherche à montrer ses propres performances : gadgets technologiques, sophistication du studio, des couleurs, des éclairages. Et comme le spectacle doit s’accompagner d’émotion, celle-ci est mise en avant par l’attitude de l’animateur et par le jeu des caméras : gros plan sur le visage du canadidat au moment où l aroue se fige, et ensuite gros plan sur la famille venue l’accompagner.
Comme dans la télé-réalité dont certaines émissions sont d’ailleurs assimilables à des jeux, on assiste donc à une montée de l’intime, du sensible qui pour beaucoup de sociologues sont aussi des marqueurs de nos sociétés contemporaines.

Mondialisation ou particularisme

Très présents sur les chaînes françaises, les jeux télévisés sont aussi les programmes que l’on retrouve le plus dans les grilles des chaînes européennes mais aussi d’autres pays. Tout se passe comme si le dispositif télévisuel relativement simple des jeux pouvait être facilement reproduit. Dans le passé « Le juste prix » ou « La roue de la fortune » étaient des déclinaisons de programmes américains. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y ait pas des différences dûes à la fois à la culture et à la nature des chaînes. Nous conclurons donc avec « Des chiffres et des lettres », jeu à tonalité intellectuelle fort distinct des formules américaines et plutôt adapté à des chaînes publiques.

Thierry Lancien

Télévision et communication politique

Le Français dans le Monde n°364
Juillet Août 2009


La présidence de Silvio Berlusconi et l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy ont ravivé les débats sur les rapports entre télévision et communication politique (voir FDLM n°358, août 2008). Pour certains le citoyen électeur est désormais traité comme un téléspectateur consommateur et l'espace public serait dépolitisé par la nouvelle communication politique télévisuelle. L'attention portée à la communication de certains chefs d'état ne doit pas faire oublier que le phénomène de rapprochement entre espace privé et espace public qui touche aujourd'hui la représentation politique se manifeste presque quotidiennement à la télévision.

Vivement dimanche : la politique conviviale
L'émission hebdomadaire de Michel Drucker diffusée sur France 2 et sur TV5 constitue un bon exemple d'une communication politique qui cherche à se fondre dans une relation télévisuelle d'un autre ordre. Emission phare de la deuxième chaîne « Vivement dimanche » qui rencontre un fort succès d'audience (de 3 à 4 millions de télésectateurs), propose un dispositif convivial (notamment le célèbre canapé rouge), familier (le chien de l'animateur était toujours présent jusqu'à sa mort récente) au sein duquel Michel Drucker reçoit des invités du monde du spectacle, de la politique, des médias ou du sport. Dans une première partie, Michel Drucker revient sur la carrière de ses invités qui ont carte blanche pour construire l'émission comme ils l'entendent.
Dans la deuxième partie intitulée Vivement Dimanche prochain, l'invité est passé au crible des chroniques d'humoristes ou de journalistes dans une bonne humeur générale ostensiblement revendiquée et affichée.
On parle peu politique à « Vivement dimanche », puisque l'enjeu est ailleurs : rapprocher les politiques des téléspectateurs en nous les montrant sous un jour familier, décontracté. Ils peuvent être invités à faire un brin de cuisine ou à se déguiser. L'émission est devenue un passage quasi obligé pour la plupart des leaders politiques et sa nature même permet de comprendre pourquoi elle peut poser un problème à certains hommes politiques. Lorsqu'Olivier Besançenot alors responsable de la Ligue communiste révolutionnaire a accepté l'année dernière de participer à l'émission, beaucoup au sein de son parti se sont interrogés sur l'utilité de céder à ce type de communication qu'ils brocardent d'autre part parce qu'elle efface les frontières entre activités individuelles et activités sociales. Le récent passage dans l'émission de la secrétaire générale du Parti sociliaste est lui aussi intéressant. Réputée assez austère et avare de confidences sur sa vie privée, Martine Aubry a pourtant dû selon les observateurs céder au rite dominical proposé par France 2 pour adapter son image à un public de télévision qui attend désormais un certain type de relation avec les hommes politiques.

Plus proches et plus familiers
Des émissions comme « Vivement dimanche » ou « Vie privée vie publique » sont évidemment à rapprocher d'autres phénomènes médiatiques comme celui de l'essor important de la presse people qui nous montre les politiques dans leur vie privée. Certains sites d'Internet participent aussi de ce dévoilement auquel les politiques consentent plus ou moins, comme le prouvent les procés qu'ils peuvent quelquefois intenter pour atteinte à leur image. Sur le plan télévisuel en tout cas, cette nouvelle communication politique s'inscrit dans tout un courant qui avec la télé réalité met en avant l'intime, l'émotion au détriment d'une représentation politique plus classique qui passait notamment par le débat et la mise en avant de programmes politiques.

Thierry Lancien

La télévision parle des médias

Le Français dans le Monde n°363
Mai, juin 2009


Depuis les années quatre vingt, les magazines télévisés consacrés aux médias se succèdent sur les différentes chaînes mais leur durée de vie est souvent brève. Tout se passe comme si le genre avait du mal à trouver ses marques et sa véritable identité.

Comme chaque année le baromètre annuel TNS Sofres pour le quotidien La Croix nous donne une image des rapports que les Français entretiennent avec leurs médias. La vingt deuxième livraison met en lumière un intérêt croissant du public pour la presse, la radio, la télévision et Internet. Prés de trois français sur quatre suivent l’information médiatique alors qu’ils n’étaient que 62% en 1987.
Rien d’étonnant donc à ce que la télévision cherche à faire écho à cet intérêt en programmant des émissions consacrées aux médias.

France 5 en première place
A l’heure actuelle et quatorze ans après sa création, c’est France 5 qui occupe la première place dans ce domaine. Cela ne surprend pas puisque la chaîne publique du groupe France Télévision (voir FDLM 327, juin 2003) reste ainsi fidèle à sa mission première qui est d’œuvrer pour la diffusion du savoir et des connaissances. L’émission de Daniel Schneidermann « Arrêt sur images » consacrée à l’analyse de la télévision a même été longtemps emblématique de la chaîne avant d’être supprimée en septembre 2007 (voir FDLM 354, décembre 2007). Elle reste d’ailleurs une référence et il est difficile de ne pas comparer les nouvelles émissions à ce que proposait Daniel Schneidermann qui a depuis créé un site sur lequel il continue à proposer décryptages et analyses de la télévision(www.arretsurimages.net)

De « Revu et corrigé » à « Médias le magazine »
Avec les deux magazines aujourd’hui programmés par France 5, ce qui a le plus changé concerne précisément la question de l’analyse. Que ce soit Paul Amar dans « Revu et corrigé » ou Thomas Hugues dans « Médias Le Magazine », même si le terme de décryptage est régulièrement mis en avant, il s’agit plus d’émissions d’information sur les médias. Plus d’analyse critique d’images, de reportages et de dispositifs télévisuels mais quelque chose qui ressemble plus à de l’enquête sur les médias. Il faut dire que la période actuelle est riche en questions. Comment la presse écrite, la télévision, la radio se positionnen-t-elles vis-à-vis d'Internet ? Comment les chaînes historiques réagissent-elles face à l'émergence de la TNT ? Comment France Télévision pourra vivre sans publicité ? Quelles nouvelles complémentarités vont s’installer entre les trois grands médias et la téléphonie mobile ? A l'heure où la révolution numérique bouleverse le paysage audiovisuel français (PAF), Thomas Hugues dans « Médias le Magazine » s’entretient avec des professionnels des médias et des experts pour tenter d’offrir des réponses aux questions du moment. Les enquêtes, les reportages et les débats constituent l'ossature du magazine qui compred un très riche complément sur Internet. On y trouve en effet un forum, un feuilleton et des archives. Des vidéos de l’émission peuvent y être visionnés ce qui montre une fois de plus que les frontières entre la télévision et Internet tendent à s’estomper.
Il faut noter enfin qu’en dehors des émissionssur les médias, les sites des chaînes proposent eux aussi informations, documents, dossiers et enquêtes sur les médias.

« Médias le Magazine est programmé » sur France 5 le dimanche à 16h35 et sur TV5 le lundi à 21 heures.

Thierry LANCIEN

Vie privée et télévision

Le français dans le monde n°362
Mars-avril 2009

A l’heure où il est question de supprimer les émissions de télé-réalité des chaînes publiques qui seront sans publicité à partir de janvier 2009, il est intéressant de s’interroger sur les rapports que la télévision entretient avec la vie privée.

Un peu d’histoire
C’est en fait dans les années 80 que tout commence. L’apparition des chaînes privées va en effet s’accompagner de changements profonds dans la conception que l’on se fait de la télévision et des programmes. A une télévision messagère qui transmet des informations, des connaissances, des spectacles va venir sajouter une télévision que beaucoup de chercheurs comme Dominique Mehl (1) vont appeler télévision « relationnelle ». Les programmes cherchent en effet à établir une nouvelle relation avec le téléspectateur, en le représentant dans les émissions, en parlant de lui y compris de ses problèmes les plus intimes : troubles de la sexualité, conflits familiaux, fantasmes en tous genres. On ne compte plus à cette époque les émissions de télévision qui ont rendu publics ces sujets relevant autrefois de la plus stricte intimité. Les concepteurs de « L’amour en danger », de « Psy show » pensent alors que loin du voyeurisme, ces émissions ont un rôle social puisqu’on y cherche à résoudre des conflits que la société n’est plus capable de prendre en charge.

La télé réalité
Quelques années plus tard la télé-réalité (Le Français dans le Monde n°325, 2003) va poser à son tour la question de la présence du privé voire de l’intime à la télévision. L’émission « Loft Story », emblématique du genre, a par exemple mis en scène la dimension relationnelle de la vie privée et porté à l’écran des personnes anonymes issues de la société civile et auxquelles le téléspectateur est censé pouvoir s’identifier.
Mélangeant réalité et fiction et remettant donc en cause la distinction des genres à la télévision, ces émissions ont eu leurs détracteurs mais continuent à avoir une certaine fortune télévisuelle.

Vie privée-vie publique
Dans le paysage audiovisuel d’aujourd’hui d’autres émissions peuvent aborder la question privée sous un angle différent. C’est par exemple le cas de « Vie privée-vie publique » (émission de France 3, diffusée sur TV5), conçue et animée par Mireille Dumas. L’animatrice qui fut très impliquée dans ce qu’on a appelé « la télévision à la première personne » avec une émission comme « Bas les masques », se propose toujours si l’on en croit le descriptif de son émission de « confronter la vie d’anonymes ou de personnes célèbres qui parlent des problèmes qui peuvent exister au sein des familles, des groupes de personnes et de chercher des solutions ». On retrouve bien ici les principes des « reality » et « talk show » évoqués plus haut, même s’il s’agit d’une orientation assez différente. Les émissions de « Vie privée vie publique » dans lesquelles sont invitées des personnes célèbres sont en fait à rapprocher des médias qu’on appelle « people » et qui entretiennent la curiosité du public par dévoilements successifs sur certains éléments de la vie privée. On n’est plus ici dans une télévision actrice qui voulait intervenir dans le champ du social mais dans un genre télévisuel à rapprocher de toute cette tendance médiatique qui consiste à reculer les frontières qi ont longtemps séparé vie publique et vie privée.

(1) Dominique Mehl, La fenêtre et le miroir, Payot

Thierry LANCIEN

L’avenir du JT

Le français dans le monde, n°359
Sept-octobre 2008

Alors qu’il fêtera l’année prochaine ses soixante ans d’existence le journal télévisé, genre télévisuel particulièrement stable, semble montrer des signes d’essoufflement.

Une formule stable

Né en 1949, le journal télévisé a connu différentes évolutions. Très proche des actualités filmées qui ont continué à le concurrencer dans les salles de cinéma durant les premières années de son existence, il leur empruntait beaucoup à ses débuts. Il n’y avait pas à l’époque de présentateur et le journal était une mise bout à bout de reportages assez hétéroclites. Au milieu des années 50, le présentateur fait son apparition et le JT cherche un équilibre entre la présentation de l’information et son illustration par l’image. Cette question restera d’ailleurs centrale dans la conception de tout JT. Au début des années 60, la formule qui continue à prévaloir aujourd’hui sur les grandes chaînes généralistes, s’impose. Le présentateur est désormais maître du dispositif, lance les reportages et met en relation les différentes interventions des journalistes ou des invités. Depuis cette époque, les formules ont relativement peu changé. On est certes passé d’une télévision plutôt marquée par l’enquête, le direct, le terrain à une télévision plus centrée sur l’examen et donc le studio et les commentaires. Les styles de présentation ont eux aussi pu changer, les présentateurs personnalisant plus ou moins leur présentation. Si ces paramètres restent intéressants pour comparer les journaux télévisés dans un même pays et entre pays, il reste que la formule du JT est relativement stable et même assez universelle.

Un nouvel environnement médiatique

Depuis quelque temps pourtant les Jt des grandes chaînes (TF1, France 2) semblent présenter des signes d’essoufflement. Les chifffres d’audience ne sont pas bons, le public est vieillissant et les critiques virulentes. Les JT sont accusés de ne plus être que des robinets d’informations (Télérama, 30 janvier 2008) et de favoriser des sujets spectaculaires qui sollicitent surtout l’émotion (Dossier Télérama mai 2008). La crise que traversent les JT doit bien sûr être référée au nouvel environnement médiatique dans lequel ils se trouvent. Celui de la télévision tout d’abord qui a beaucoup changé avec l’arrivée en 2005 de la TNT (Télévision numérique terrestre. Voir FDLM 340, juillet 2005). Des chaînes d’information en continu comme BFM et iTélé ont fait leur apparition dans les foyers en proposant de nouvelles formules de JT plus courts, d’un rythme plus enlevé et souvent précédés et suivis de courts débats (iTélé) au ton vif et libre. C’est ensuite la présence d’Internet qu’il faut prendre en considération. Le réseau rend en effet possible l’accés à l’information à tout moment et en tout lieu . Des enquêtes montrent par exemple que de plus en plus de gens consultent des sites d’information (journaux, télévisions, portails généralistes) au travail. Très informés durant la journée, ils n’attendent plus de la même façon ce grand rendez vous du soir que constituait le JT. Cela semble particulièrement vrai chez les jeunes qui désertent le petit écran à ce moment de la journée.

Un nouveau défi

Si l’on regarde ce qui s’est passé du côté de l’histoire des médias, on peut pourtant constater que jamais un média n’a supprimé celui qui l’a précédé. Le JT qui s’ancre dans une histoire médiatique et culturelle complètement différente de celle d’Internet devrait donc survivre à condition qu’il sache repenser son rôle et ses contenus. Concurrencé par d’autres supports d’information, il devrait à la fois proposer plus de réflexion, d’analyse mais aussi envisager de manière nouvelle ses modes de rapport aux images.

Thierry Lancien

Une télévision publique sans publicité

Le français dans le monde n°357
Mai-juin 2008


Le président de la république a profité de sa conférence de presse de la rentrée 2008 pour annoncer qu’il souhaitait supprimer la publicité sur les chaînes publiques. Présentée par lui comme « une révolution culturelle sans précédent », la mesure a suscité aussitôt de nombreuses interrogations.

Publicité et course à l’audience
Avant toute chose, il convient de rappeler que la publicité n’est entrée que progressivement sur les chaînes de service public. Les intérêts mercantiles qu’elle représente étaient en effet d’abord perçus comme contraires aux missions de celui-ci et la publicité de marque ne sera intoduite qu’en 1968 à la télévision. Dans les années 80, alors que voient le jour des chaînes privées (la 5, M6, privatisation de TF1), les chaînes publiques vont pour des raisons de financement intensifier leur recours à la publicité. Du même coup et pour attirer les annonceurs qui paient d’autant plus cher le passage à l’antenne que l’audience est importante, les chaînes publiques vont quelquefois pratiquer ce qu’on appellera une course à l’audience. C’est bien pourquoi, avec le souci de préserver la qualité des programmes et notamment leur caractère culturel, la question de la publicité sera souvent posée, notamment par des gouvernements de gauche et par des rapports.

Un renforcement des programmes culturels
La mesure de suppression de la publicité devrait toucher l’ensemble du groupe France Télévision, c’est à dire les chaînes publiques France 2, France 3, France 4, France 5 et France O. Ces chaînes représentent à peu près 40% de l’audience en France. Les défenseurs de cette mesure et ceux qui l’accueillent plutôt favorablement font valoir que débarassées de la tyrannie de l’audimat (mesure d’audience), les chaînes publiques pourront renforcer leurs programmes culturels. Cet objectif était déjà au cœur du rapport Clément (voir FDLM n°334) et presque tous les acteurs de l’audiovisuel sont d’accord pour reconnaître que la publicité a une influence directe sur les programmes. Elle crée des contraintes non seulement d’audience mais aussi de formats et même d’esthétique qui limitent l’audace et la liberté de création.

Un énorme manque à gagner
Le projet du président Sarkozy pourrait donc trouver un accueil favorable s’il ne suscitait en fait une énome inquiétude chez les professionnels. En effet, la publicité représente à l’heure actuelle 36% du financement des chaînes publiques et il va falloir combler un trou de 800 millions. Comme il n’est pas envisagé d’augmenter la redevance, le principe d’une taxe sur les recettes publicitaires des chaînes privées est à l’étude. Mais beaucoup n’y croient pas et craignent que le périmètre du service public soit en fait revu à la baisse. Des chaînes publiques pourraient disparaître ou être privatisées et l’on évoque déjà le cas de France 3 qui pourrait être privatisée par régions.
Avec le projet de suppression de la publicité sur les chaînes publiques, le PAF (paysage audiovisuel français) est incontestablement entré dans l’une des phases les plus compliquées de son histoire qui a un peu plus de cinquante ans.


Thierry Lancien

Mettre en scène la parole littéraire

Le français dans le monde n°356
Mars-avril 2008

Comment parler de littérature à l’heure où la télévision mélange les genres et multiplie les effets spectaculaires aussi bien dans le contenu des émissions que dans leurs écritures visuelles ?

Pour certains observateurs, la télévision serait entrée depuis quelques années dans sa période post moderne. En témoigneraient par exemple le mélange des genres (télé-réalité, docu-fiction), les contenus provoquants et excessifs (confessions intimes, sujets dérangeants) mais aussi les écritures visuelles elles mêmes. Montages rapides, plans saccadés, cadrages étonnants tendent effectivement à prendre de plus en plus de place même dans des émissions jusque là fort classiques comme Métropolis sur Arte. Ce phénomène vient d’être d’ailleurs fort bien analysé par Gilles Lipovetsky et Jean Serroy dans leur livre « l’Ecran global » (Seuil, 2007).

Comment dés lors continuer à parler de littérature à la télévision ? Le genre se situe en effet aux antipodes de cette télévision de la vitesse et de l’excés et suppose du temps. Temps de l’écoute, temps de la parole, temps des plans qui nous les transmettent. Il suffit de cliquer sur le site de l’INA et d’ aller voirs les archives d’une émission culte des années cinquante, soixante, « Lectures pour tous » pour réaliser qu’un monde sépare bien la télévision d’hier de celle d’aujourd’hui. C’était l’époque des gros plans qui accompagnaient un véritable échange entre Pierre Dumayet et son invité. Nul souci alors du décor ou d’une quelconque scénographie. L’important était que la caméra arrive à nous restituer la qualité et l’intensité de l’échange.

Depuis cette époque, le genre n’a cessé d’être représenté dans les programmations. Bernard Pivot a régné en maître de 70 à 2000 sur la littérature au petit écran à travers des émissions comme : « Ouvrez le guillemets » « Apostrophes », « bouillon de culture » . D’autres grands noms comme ceux de Beranrd Rapp ou Michel Polac ont aussi été associés à cette aventure car ils ont cherché à innover dans les rapports compliqués entre littérature et télévision.

Aujourd’hui force est de constater que les émissions littéraires se raréfient et n’occupent plus que des cases de programmation tard dans la soirée ou tôt le matin. Elles peuvent aussi être dominicales, ce qui est le cas du « Bateau livre » programmé sur Arte et repris sur TV5 Monde.

Animée par Frédéric Ferney, cette émission traduit bien le souci de penser de manière originale la place de l’entretien littéraire dans un dispositif télévisuel contemporain. Le choix du lieu, une péniche en bord de Seine, donne son nom à l’émission et permet diverses métaphorisations. C’est ainsi que depuis quelques semaines l’animateur convie un « passager clandestin » qui est en fait un grand témoin des entretiens. Appartenant au monde des artistes (cinéma, chanson, théatre), ce passager est d’autre part censé élargir l’audience de l’émission.
La scénographie cherche elle à tirer parti d’un grand salon qui permet de varier les lieux d’échange, tandis que les entrertiens ou les chroniques des journalistes sont filmés de manière à accompagner la parole par des travellings lents.

A l’heure où la télévision cherche à changer certaines rêgles de sa visibilté, il semble plutôt que le Bateau livre cherche plus simplement à mettre en scène, de manière élégante, la parole littéraire.

Thierry Lancien

Le site www.ina.fr permet de consulter gratuitement ou en payant de nombreuses archives dont les 724 émissions d’Apostrophes de Bernard Pivot.

Débattre et riposter

Le français dans le monde n°355,
Janv-fév. 2008

Les débats culturels et de société demeurent un marqueur fort d’identité pour les chaînes du service public. « Esprits libres » sur France 2 et « Ripostes » sur France 3 en sont les actuels fleurons.

Alors que le patron de France Télévision, Patrick de Carolis avait annoncé en 2005 un virage culturel pour les chaînes du service public (France 2, France 3, France 4, France 5), beaucoup d’observateurs considèrent aujourd’hui que la télévision publique ne se démarque pas clairement du secteur privé.
Si la critique est en partie fondée, elle sous estime pourtant un type de programmes qui continue à fortement différencier la télévision publique de la télévision privée, à savoir les émissions dites de plateau qui présentent des débats culturels ou de société.
S’il s’agit là d’une tradition du service public puisque Monique Dagnaud (1) pouvait déjà remarquer en 1990 que « la télévision publique incline à privilégier l’échange d’idées par rapport à la preuve par l’image », le genre a sû aussi se renouveler. C’est ce que montre l’émission quotidienne « Ce soir ou jamais » sur France 3. Chaque soir en effet, Frédéric Taddeï y reçoit des invités pour décrypter notre époque dans un dispositif télévisuel en direct tout à fait original. Unanimement appréciée, « Ce soir ou jamais » rejoint donc les deux autres fleurons du service public, « Esprits libres » et « Ripostes ».
Pour cette dernière, chaque semaine depuis octobre 1999, Serge Moati convie le téléspectateur à un vrai débat d'idées, plus franc, plus vif et plus polémique que dans d’autres émissions. Des invités de la société civile et du monde politique, situés au coeur de l'actualité, viennent s'expliquer sur le plateau de "Ripostes", dans un climat de liberté et de tolérance. Alors que l’émission fêtait récemment son trois centième numéro, les thèmes abordés dans celle-ci témoignent de l’éclectisme de son animateur. Il a ainsi été question récemment du génocide du Rwanda, de la colonisation, de la crise des banlieues ou encore de l’Islam. Comme d’autre émissions de France 5, « Ripostes » présente la particularité de pouvoir être exploitée librement à des fins éducatives dans des établissements d’enseignement.
C’est aussi une nouvelle liberté de ton que revendique Guillaume Durand, animateur d’Esprits Libres. Après avoir présenté pendant cinq saisons le magazine culturel « Campus », Guillaume Durand a souhaité avec « Esprits libres », s’adapter au contexte socio-culturel récent. Il fait remarquer que « depuis quelques années, des voix se sont élevées pour dénoncer un climat trop aseptisé, trop ronronnant » et ajoute que par exemple : « Lors de la campagne pour le référendum, une partie des Français s’est sentie insuffisamment prise en compte dans les médias ». Pour lui cela vaut aussi pour le domaine culturel puisqu’il précise : « L’an dernier, une partie du public a eu l’impression qu’on voulait lui imposer de force le dernier Houellebecq. Il y a quelques jours encore, Télérama demandait : “Où sont passés les provocateurs ? » Du même coup Guillaume Durand pense qu’il faut « susciter, provoquer le débat, la confrontation des points de vue ». Il le fait dans une émission au décor très élégant et en accueillant une personnalité du monde culturel, très souvent un écrivain (récemment Patrick Modiano ou la romancière Marie Darieuseq) pour un premier entretien. Suit une table ronde qui réunit chroniqueurs, spécialistes et invités tandis que de courts portraits vidéo et des intermèdes musicaux rythment l’émission.
La tradition du débat d’idées reste donc bien présente à la télévision publique et c’est même sans doute l’une de ses dernières spécificités.

Thierry Lancien

(1) Dans un rapport remis alors au CSA. On peut aussi lire l’ouvrage récent de Monique Dagnaud, Comment la télévision fabrique la culture de masse, Armand colin, 2006
« Ripostes » et « Esprits libres » sont rediffusées sur TV5.
Sites à consulter www.france5.fr pour « Ripostes » et www.france 2.fr pour « Esprits Libres ».

Analyser la télévision

Le français dans le monde, n°354
Nov-déc 2007

Les pratiques d’analyse de la télévision en milieu éducatif n’ont cessé de se développer et de s’enrichir depuis plus de dix ans. Elles concernent aussi bien l’enseignement primaire, secondaire qu’universitaire. Une telle somme d’expériences souvent présentes et facilement accessibles sur Internet doit pouvoir être fort utile à l’enseignant de FLE. En effet apprendre avec la télévision c’est aussi et peut être avant tout la comprendre en tant que dispositif médiatique.

Le rôle d’Arrêt sur images
La décision de la direction de France 5 de ne plus programmer à la rentrée 2007 l’émission Arrêt sur images a suscité un net émoi dans les secteurs éducatifs. Conçue dans le cadre de la cinquième chaîne et par rapport à la vocation éducative de celle-ci, l’émission, animée par Daniel Scheidermann, aura été pendant des années la matière première de beaucoup d’enseignants. On y décryptait en effet toutes sortes d’émissions avec le souci de montrer qu’au delà d’une certaine transparence, tout message télévisuel est l’objet et le produit d’une construction linguistique et visuelle.

Le dispositif télévisuel
La suppression de cette émission est d’autant plus paradoxale que les pratiques d’analyse de la télévision en milieu éducatif ne cessent de se développer. Celles-ci peuvent relever de diverses orientations mais toutes, semble-t-il, devraient profiter à l’enseignement des langues et plus particulièrement du français langue étrangère. On les regroupe quelquefois sous le terme d’éducation aux médias, laissant entendre ici qu’au delà de la langue et des contenus explicites, les médias sont à appréhender à travers leurs modalités spécifiques de signification. C’est par exemple ainsi qu’on abordera la langue d’un reportage, non pas en soi comme un phénomène isolé mais en relation avec les images, le choix des plans, le montage.
Le terme de dispositif renvoie clairement à cette idée que la télévision combine, met en relation des messages qu’il ne faut pas isoler comme on a trop souvent tendance à le faire dans une approche strictement langagière.

Des approches variées
L’examen des sites Internet consacrés à l’analyse de la télévision révèle vite une grande variété que l’enseignant de FLE pourra aussi retraduire en niveaux d’apprentissage. Les sites très riches des académies (pour chaque académie il suffit de taper ac-plus le nom de l’académie) regorgent ainsi de propositions d’activités classées par niveaux (primaire et secondaire) et dont beaucoup sont transférables à l’enseignement du FLE.
Il en va de même pour le site du CLEMI, bien connu maintenant à l’étranger, ainsi que pour les sites CLEMI hébergés par des académies (exemple:www.clemi.ac-aix-marseille.fr). L’orientation est ici clairement celle de l’éducation aux médias, c’est à dire d’une attention particulière portée au processus de signification médiatique.
Des associations comme Le ligue de l’enseignement (www.laligue.org) ou les Cemea (www.cemea.asso.fr) proposent aussi sur Internet différentes activités éducatives et pédagogiques destinées à faire des jeunes des téléspectateurs actifs et critiques.
Les blogs ne sont évidemment pas absents de ce panorama car de nombreux enseignants proposent ainsi des réflexions, des démarches, des activités.
Les enseignants en université trouveront eux aussi des ressources à travers par exemple des programmes détaillés de cours sur les médias (www.univ-paris1.fr)

L’interdisciplinarité
L’éducation aux médias étant déjà présente dans de nombreux pays (voir les sites canadien:www.media-awareness.ca et de l’UNESCO: www.portal.unesco.org), il y aurait un évident intérêt dans les contextes scolaires d’enseignement du FLE à établir des passerelles entre ces deux domaines. On oublie trop souvent lorsqu’on aborde les médias en langue étrangère que l’apprenant dispose déjà d’une compétence médiatique dans sa langue et qu’il faut favoriser des transferts.

Thierry Lancien

Les observatoires des médias

Le Français dans le Monde
n° 348, Janvier 2007


Si la critique des médias n’est pas nouvelle et la méfiance à leur endroit presque consubstantielle à leur naissance, le phénomène des observatoires des médias est plus récent.
De ces lieux d’observation, il ne s’agit pas de juger et de condamner mais plutôt d’analyser les processus de fabrication de l’information.
La télévision, premier média en terme de fréquentation, occupe évidemment une place importante dans ces dispositifs.

Le développement des observatoires des médias est à mettre en rapport avec l’exigence de plus en plus grande des citoyens vis à vis de l’information et du travail des journalistes. L’essor de l’éducation aux médias dès le colllège ainsi que la présence de départements de sciences de l’information et de la communication dans les universités expliquent aussi cette sorte de droit de regard que les citoyens souhaitent exercer sur les médias. Le fait qu’Internet permette un rapport plus diversifié avec les médias vient sans doute encore renforcer le sentiment critique des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs.
D’autre part l’arrivée récente au quotidien Le Monde ou sur certaines chaînes de télévision (comme à France Télévision) de médiateurs vers lesquels les lecteurs et/ou les téléspectateurs peuvent diriger leurs observations critiques est à rapprocher de ce qui vient d’être évoqué.
Dans un entretien récent accordé à la revue Médiamorphoses (Médiamorphoses n°18, septembre 2006), le sociologue des médias Jean-Marie Charon fait aussi observer que la mise en cause des médias par les citoyens : « intervient à un moment où les journalistes (et les rédactions) apparaissent souvent désemparés, en tout cas ayant toujours plus de difficultés à situer et maîtriser leur responsabilité vis à vis de l’information ». Il souligne d’ailleurs que « cela n’a rien d’étonnant dans une période dominée par la transformation rapide et incessante des techniques et des structures ; l’accélération (direct, live, en continu…) et l’élargissement (des domaines abordés) du traitement de l’information ; le renforcement du poids des logiques économiques, de plus en plus financières, qui président à l’orientation des entreprises de médias ».

Qui observe et comment ?

Dans un tel contexte, le travail des observatoires consiste principalement à vérifier l’exactitude proprement factuelle des informations publiées (ce qui met en jeu l’honnêteté ou la compétence du journaliste), mais aussi à observer la sélection des informations et plus fondamentalement encore leur hiérarchisation puis leurs modes de traitement écrits et visuels.
A cet égard, on peut se demander à qui revient la légitimité permettant de porter ce type de regard sur les médias. La pratique journalistique est en effet régie par une charte des journalistes (Charte de 1918) et ceux-ci considèrent souvent que c’est à eux de contrôler la qualité de l’information selon les termes de cette charte. Beaucoup d’acteurs du champ médiatique sont pourtant d’accord pour considérer comme Pattrick Pépin, médiateur de Radio France qu’un : « observatoire des médias utile et crédible ne peut tirer sa légitimité que d’une participation croisée de trois composantes : le journaliste, le citoyen et l’expert ».

De l’entretien à une critique plus virulente

Dans le paysage médiatique français, il existe aujourd’hui trois observatoires qui sont présents sur Internet. Leurs sites offrent de nombreuses ressources concernant les médias et plus particulièrement la télévision.
Les « Entretiens de l’information » (http://entretiens.info) pluralistes, cherchent à favoriser débats et réflexions entre journalistes et représentants de la société civile. Ayant des antennes en province, l’observatoire organise toutes sortes de manifestations.
« L’observatoire des médias » (www.observatoire-medias.info), créé en 2003 dans la mouvance altermondialiste , est plus militant et prétend défendre l’information comme bien public.
Enfin Acrimed (Action-critique-médias), (www.acrimed.org) propose une orientation nettement plus critique et virulente des médias appuyés sur des études d’émissions, s’articles.

Thierry Lancien

Quand le champ du visible ne cesse de s’élargir

Le français dans le monde, n°345,
Mai-juin 2006

Deux événements récents couverts par la télévision amènent à nouveau à se poser la question de savoir quelles sont les limites de ce qui est diffusable par le petit écran.

Le 7 février dernier, le quotidien Libération présentait en première page et sous le titre « A visage découvert » une photo qui fera date et qui montrait un visage de femme de profil regardant sur un grand écran son propre visage agrandi. Il s’agissait en fait de la première personne greffée du bas du visage qui avait choisi avec ses médecins de révéler ce jour là son identité et sa nouvelle apparence. Des télévisions du monde entier étaient présentes à cette conférence de presse et ce visage a fait le tour du monde. A cette occasion on ne peut pas ne pas se demander si les limites de ce qui est montrable à la télévision, l’intime, la souffrance, la mort, le sexe ne sont pas sans cesse en train de reculer. Le cas d’Isabelle Dinoire est d’autant plus intéressant qu’il semble d’après ses témoignages qu’elle ait choisi de montrer son visage en public à la télévision pour échapper à une véritable traque médiatique qui se déroulait depuis plusieurs mois. Terrible paradoxe qui voudrait en fait dire qu’on ne peut échapper aux médias qu’en rentrant dans leur implacable logique. Pour Patrick Sabatier qui signait ce jour là l’éditorial de Libération, la publicité extraordianire qui était alors donnée à cet exploit médical faisait en fait écho aux dérives de la télé-réalité et « autres déballages cathodiques ». Il faut d’ailleurs noter que l’ordre national des médecins a critiqué la médiatisation de cette affaire. Une telle réaction comme celles de beaucoup de commentateurs montrent bien que si le champ du visible s’élargit sans cesse, cela ne va pas sans poser des problèmes d’acceptabilité du côté de l’éthique, de la morale, de la religion et de la culture.

Durant la même semaine et quelques jours plus tard, la retransmission à la télévision de l’audition du juge Fabrice Burgaud par une commission d’enquête de parlementaires est venue elle aussi soulever de lourdes questions. Ce jeune juge d’instruction qui est au centre d’une énorme erreur judicaire qui lui a fait mettre en prison des personnes qui ont depuis été acquittées, a eu à témoigner pendant plusieurs heures devant la commission qui enquête sur cette affaire. La retransmission d’une telle audition est une première qui mérite quelque attention. On peut tout d’abord se demander si dans un pays où les procés ne sont pas retransmis à la télévision, une telle diffusion se justifiait. On peut ensuite analyser le dispositif télévisuel mis en place. En dehors de l’audience elle même, TF1 et France 2 avaient en effet choisi de faire précéder celle-ci d’une émission de deux heures environ comportant un plateau avec un présentateur, des interviews de personnes acquittées et un portrait du juge. Un tel dispositif pouvait permettre de mettre à distance la retransmission, d’en donner des éléments d’analyse comme ce fut parfois le cas sur France 2 où l’ancien garde des sceaux Robert Badinter était l’invité du présentateur. Mais ce dispositif risquait aussi de surmédiatiser le témoignage du juge à travers des procédés de spectacularisation et de suspense, ce qui fut par moments le cas. Pire, la diffusion de témoignages des acquittés, mettant en cause le juge, fonctionnaient finalement comme des pièces à conviction livrés contre lui. A partir de cet événement télévisé se pose donc à nouveau la question de savoir ce que l’on peut légitimement montrer à la télévision et selon quelles modalités. En admettant que la retransmission de l’audition était nécessaire, il aurait fallu que les différents acteurs insitutionnels de cette affaire (parlementaires, justice, CSA, directeurs des chaînes) réfléchissent aux formes télévisuelles qui étaient les plus aptes à la servir.

Thierry Lancien

La télévision mobile ?

Le français dans le monde, n°344
Mars-avril 2006

Le développement du haut débit qui permet de visionner des programmes de télévision sur les téléphones mobiles est-il en train de faire de ce type de communication un média à part entière, la télévision mobile ?

L’apparition d’un nouveau média

Si le développement des sites d’information, de culture et de loisirs sur Internet posait déjà la question du devenir d’une nouvelle forme de télévision présente sur ces sites, c’est maintenant la convergence entre téléphonie mobile et programmes de télévision qui amène à se demander s’il s’agira d’un nouveau média.
Les opérateurs sont en tout cas au rendez vous et proposent à leurs abonnés différents types de programmes. C’est le cas par exemple de France Telecom qui depuis un an diffuse un catalogue de vidéo à la demande, des programmes spécifiques mais aussi des jeux vidéos ou encore de SFR qui offfre l’accès à une cinquantaine de chaînes de télévision.
Les spécialistes de ce domaine n’analysent pas cette situation en termes de concurrence mais pensent plutôt que la téléphonie mobile deviendra complémentaire des grands médias. La 3G ou troisième génération de la téléphonie mobile avec ses terminaux aux mini-écrans occuperait alors des temps de vie, des temps d’attente qui aujourd’hui ne sont occupés par aucun média.

Des programmes spécifiques

Nouveau média donc en termes d’usage mais aussi en termes de spécificités télévisuelles. La téléphonie crée en effet des contraintes d’espace et de temps. D’espace puisque les petits écrans des téléphones ne rendent visibles les programmes que si ceux ci prennent en compte cette particularité. Une série réalisée récemment par la chaîne américaine Fox pour l’opérateur Vodafone présente ainsi une mise en scène adaptée avec d’avantage de gros plans et moins de scènes rapides pour permettre aux usagers de distinguer les acteurs et l’action. De son côté la contrainte du temps amène les responsables de programmes à proposer des « mobisodes » (contraction de mobie et d’épisode), séquences courtes qui puissent correspondre au temps morcelé du visionnement sur un mobile.
Du côté des programmes, l’engouement pour le sport est manifeste puisqu’Orange qui détient par exemple l’exclusivité des droits de retransmission du championnat de France de football annonce que 40% du trafic vidéo du week end revient au spectacle du ballon rond.
Le passage au format du mobile bouscule aussi la hiérarchie des chaînes et les chaînes thématiques comme LCI pour l’information ou Trace TV pour la musique concurrencent les grandes chaînes généralistes.

La percée de la télévision mobile présente un cas d’intermédialité intéressant qui permettra de voir comment ce média en émergence se détache petit à petit de celui dont il est directement issu pour affirmer son idenntité.

Thierry Lancien

Radiographie des téléspectateurs

Le français dans le monde, n°343
Janv-fév 2006

Chaque année le sondage Télérama/Sofres nous livre une radiographie des pratiques télévisuelles des français et de leurs opinions sur la petite lucarne. La livraison 2005 confirme des tendances antérieures et apporte des éléments nouveaux en ce qui concerne par exemple la diversification des fréquentations médiatiques.

De nouvelles pratiques médiatiques ?

Si le temps consacré à la télévision par chaque français continue d’augmenter (trois heures et vingt quatre minutes par jour), il semble pourtant que le petit écran soit bien en concurrence avec les nouvelles technologies. Le sondage Télérama/Sofres montre en effet que si elles devaient, pendant six mois, choisir entre la télévision, la radio, le téléphone mobile et la connexion Internet, 33% des personnes interrogées garderaient leur téléphone mobile, 28% leur connexion Internet, 22% la radio et seulement 17% la télévision. Ces chiffres qui ne sont certes que virtuels sont pourtant à mettre en rapport avec des enquêtes sur les pratiques médiatiques des jeunes. On y apprend que ces derniers consacrent de plus en plus de temps à Internet notamment dans la journée pour repousser le visionnement de la télévision en soirée.
Cette concurrence constitue-elle pour autant une menace ? Les spécialistes de la télévision ne le pensent pas. Fâce à la diversification des pratiques, les grands groupes de télévision vont chercher à innover en lançant par exemple des mini programmes pour la téléphonie mobile ou encore, comme va le faire TF1, en proposant une technologie permettant de télécharger un programme pour le regarder plus tard, au besoin sans la publicité. Une répartition pourrait donc se faire entre des programmes télévisés qu’on regarde sur d’autres supports et ceux comme les séries, les fictions que l’on regarde sur les téléviseurs à écrans plats.

Des téléspectateurs insatisfaits

En attendant que ces évolutions se confirment, le baromètre Télérama/Sofres nous apprend une fois de plus que les téléspectateurs ne sont pas vraiment satisfaits des programmes qu’on leur propose (53% d’insatisfaits). Comme la chose n’est pas vraiment nouvelle et que la consommation télévisuelle continue à augmenter, on peut se demander s’il s’agit là d’un point de vue sincère ou si le téléspectateur n’est pas plutôt influencé par les jugements globalement négatifs que les médias véhiculent sur la télévision. Plus étonnant encore, leur préférence dans le sondage va à chaîne bi-culturelle ARTE qui ne rassemble pourtant que 3,7% d’audience contre 31,8% à TF1. Ceci confirme donc cela. Les français quand ils sont interrogés ont des opinions convenues sur la télévision tout en regardant ce qu’ils veulent.
Dan un paysage audiovisuel où demeurent quatre chaînes publiques (France 2, France 3, France 5 et Arte), il est intéressant de savoir si les téléspectateurs sont fortement sensibles à la différence public, privé. Le sondage fait apparaître que ce sont surtout les jeunes entre dix huit et trente ans qui perçoivent une nette différence entre les programmes.
Le fait que la télévision publique se soit jusqu’à maintenant refusée à diffuser des programmes de télé-réalité joue sans doute un rôle important à cet égard.

Thierry Lancien

Reportages anonymes

Le français dans le monde ; n°342
Nov-déc 2005

La télévision comme la presse présente de plus en plus souvent des documents réalisés par des anonymes. Il s'agit de courts reportages filmés la plupart du temps à l'occasion de faits divers spectaculaires par des témoins munis d'une caméra ou même d'un téléphone mobile. Ces pratiques qui entrent en concurrence avec celles des journalistes peuvent inquiéter ou bien annoncer de nouvelles formes d'information.

C'est à l'occasion du Tsunami en Thailande, en décembre 2004, que le phénomène s'est vraiment affirmé tandis que les différentes chaînes de télévision présentaient dans leurs journaux télévisés des reportages réalisés par des témoins directs du drame qui s'était abattu soudainement sur cette région d'Asie du sud est. Plus récemment les attentats du mois de juillet dans le métro londonien ont aussi donné lieu à ce type de couverture constituée d'images mobiles de quelques secondes enregistrées sur le vif grâce à un téléphone mobile.

Immédiateté et authenticité
Le recours à de telles images tient au fait qu'à la différence de celles tournées par des journalistes, correspondants ou envoyés spéciaux, elles peuvent être enregistrées pendant un événement imprévu et sont d'autre part auréolées des vertus de l'authenticité. A l'heure où les médias sont parfois accusés de manque de neutralité et soupçonnés de fabriquer l'information, cet aspect des images anonymes n'est pas indifférent. La mauvaise qualité des images, le tremblé, loin d'être des handicaps deviennent alors des preuves d'authenticité. Le phénomène prend une telle ampleur que ceux qu'on appelle quelquefois les "citizen papparazi" peuvent négocier très vite les droits, souvent élévés de leurs images, en entrant en contact, tout de suite après l'événement, avec des sites Internet qui s'occupent des relations avec les chaînes.
Loin de se sentir concurrencés par cette nouvelle relation à l'information, certains médias y voient au contraire un moyen de se rapprocher des lecteurs ou des téléspectateurs. Certains journalistes vont même jusqu'à parler de "journalisme participatif" et différentes expériences cherchent à oeuvrer dans ce sens. Télé Grenoble a par exemple entrepris de se constituer un réseau de correspondants vidéastes tandis qu'à Nantes une télévision locale, TéléNantes diffuse de courts reportages réalisés par des téléspectateurs. Ces dernières expériences rappellent en fait ce qui s'est passé il y a quelques années avec les télévisions locales et associatives qui n'ont d'ailleurs pas connu le succès attendu.

Les dérives du journalisme anonyme
Les images anonymes tournées lors de grands événements souvent catastrophiques et violents, posent elles d'autres questions. Celle de savoir par exemple jusqu'où l'on peut aller en montrant l'horreur sans filtre journalistique. Tout le travail des journalistes doit tendre en effet à mettre à distance l'information pour mieux l'expliquer et la faire comprendre, tandis que ces images vont plus dans le sens d'une relation fusionnelle et émotive à l'événement. Elles jouent d'autant plus sur l'affect que l'on sait qu'elles ont été tournées par un témoin du drame immergé dans celui-ci. Pour certains journalistes, ces pratiques posent aussi des questions d'éthique et de fiabilité. Les journalistes sont liés dans leurs pratiques professionnelles par une charte du journalisme qui leur indique leurs devoirs en matière d'information. Ce n'est évidemment pas le cas des témoins anonymes et des débordements sont à craindre. Récemment lors de l'atterrisage raté de l'avion d'Air France à Toronto, un passager s'est vu reprocher de ralentir l'évacuation car il cherchait à la filmer.
La question la plus brûlante reste sans doute pour les médias dits classiques de savoir si ces pratiques anonymes entrent en réelle concurrence avec eux et déboucheront sur des formes de journalisme alternatif par exemple sur Internet ou bien s'il ne s'agit là que d'un phénomène qui sera absorbé par la logique industrielle des grands médias.

Thierry Lancien

Les images de l’inimaginable

Le français dans le monde, n°339
Mai-juin 2005


La commémoration de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau qui a donné lieu à de très nombreuses émissions de télévision, a aussi posé à nouveau la question de savoir comment il est possible de représenter l’horreur et ce qui est souvent
resté indicible pour les rescapés eux-mêmes.


La célébration du soixantième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz qui eut lieu le 27 janvier 1945, a revétu cette année d’autant plus d’importance qu’elle aura été l’occasion pour plus de quarante chefs d’état européens de marquer la solidarité des peuples de ce continent par rapport au devoir de mémoire qui s’impose à eux.
En dehors des manifestations du souvenir retransmises à la télévision, les différentes chaînes ont programmé des programmes très divers et parmi eux des émissions relevant de genres télévisuels nouveaux comme les documentaires fictions.

Fictions, documentaires, documentaires-fictions
Si des images d’actualité d’abord soviétiques, furent diffusées dans les semaines qui suivirent la libération du camp, dix années passèrent ensuite avant qu’Alain Resnais ne réalisât « Nuit et brouillard » qui fut le premier film consacré au système concentrationnaire. Comme le note le réalisateur Patrick Rotman dans une interview au Monde (1), la réalité juive y est encore peu évoquée et il faudra attendre « Shoah » de Claude Lanzmann (1985) pour que soit traitée de front la question de la mise à mort de millions de juifs d’Europe.
La force de ces deux films tient au fait que leurs réalisateurs ont cherché et trouvé des formes d’expression filmique adaptées, dans leur dépouillement et leur sobriété, à l’horreur dont ils avaient à rendre compte.
Programmés sur les chaines françaises, ces films ont cotoyé d’autres tentatives télévisuelles, notamment celles du « documentaire fiction », terme qui désigne un nouveau genre télvisuel.
Le pari est ici en quelque sorte inverse, puisqu’au lieu de s’inscrire dans les pas des rescapés et de s’effacer derrière leurs témoignages comme le fait Claude Lanzmann dans « Shoah », les réalisateurs font appel à des reconstitutions mêlées à des images d’archives et même de synthèse. C’est ainsi qu’ « Auschwitz, la solution finale », « docu-drama » réalisé pour la BBC par Laurence Rees, comprend des images d’archives, de courts témoignages et des scènes scénarisées à partir de documents de l’époque.
Entre ces deux pôles, on aura pu voir de plus classiques documentaires, organisés surtout autour de la parole des rescapés, parole d’autant plus précieuse que ceux qui sont revenus des camps se font de plus en plus rares.

Des images qui doivent appeler des questions
La commémoration de janvier 2005 et à cette occasion la coexistence à la télévision de fictions, de documentaires-fictions et de documentaires qui relèvent d’orientations radicalement différentes, pose donc à nouveau la question du rôle des images dans notre rapport à l’histoire et plus encore à des événements extrêmes. Pour certains historiens et réalisateurs comme Patrick Rotman la fiction a trop tendance à globaliser les sujets qu’elle aborde et du même coup à représenter des univers finalement très éloignés de ce qui a pu se passer. De son côté l’historienne des camps, Annette Wievorka, invitée de l’émission Arrêt sur images (2), faisait remarquer que les « documentaires fictions » ne permettent pas à la sidération que provoque l’évocation de l’horreur de s’installer en nous, ce qui rejoint le point de vue du philosophe Jen-Luc Nancy (3) qui pense que les images de fiction épuisent en quelque sorte le sens d’images qui doivent au contraire rester supports de questionnements.

Thierry Lancien

(1) Le Monde Radio Télévision, 24 au 30 janvier 2005
(2) Arrêt sur Images. D. Scheiderman. 30 janvier 2005. France 5
(3) Jean-Luc Nancy, Au fond des images, Galilée, 2003

La mémoire audiovisuelle

La mémoire audiovisuelle en danger

Le français dans le monde, n°338
Mars-avril 2005


La fédération internationale des archives de télévision (Ifta) vient de lancer un appel pour la sauvegarde de milliers d’heures de télévision et de radio dont l’archivage est à l’heure actuelle gravement menacé.


Des centaines de milliers d’heures de radio et de télévision, pourtant archivées, sont menacées de disparition si les grands organismes qui s’en occupent ne trouvent pas les moyens financiers nécessaires à leur survie. En ce qui concerne la France, on estime à 350.000 heures de télévision et 500.000 heures de radio, les documents en danger.

Cettte situation s’explique tout d’abord par la vulnérabilité des supports. On connaît bien par exemple le « syndrome du vinaigre » qui est un processus chimique qui affecte les bandes magnétiques radio et les bandes sonores des films et qui aboutit à l’autodestruction de celles-ci.

A cela, il faut ajouter l’obsolescence de certains matériels qui permettent de lire des supports anciens et qui ne fonctionneront bientôt plus. Les supports se sont en effet multiplié depuis les années cinquante (bande vidéo 2 pouce, cassette bétamax, VHS pour l’image, 78 tours, cassette audio, CD audio pour la musique), ce qui complique les modalités de leur lecture.

La solution à ces problèmes, c’est évidemment la numérisation, c’est à dire le passage d’un support analogique fragile à un support numérique qui présente toute une série d’avantages : résistance, qualité des images et des sons, multiplicité des modes d’archivage et d’interrogation.

L’Institut national de l’audiovisuel (INA), a ainsi lancé en 1999, un plan de sauvegarde et de numérisation (PSN) qui a permis de traiter près de 100.000 heures jugées très périssables. La France occupe d’autre part une position particulière dans le domaine des archives grâce à la loi de 1992 qui a imposé un dépôt légal de la radio et de la télévision. Ce sont à l’heure actuelle toutes les chaînes hertziennes mais aussi plus de cinquante chaînes du Câble et du Satellite, auxquelles il faut ajouter dix sept radios, qui sont tenues de déposer leurs programmes à l’INA. C’est l’Inathèque de France, créée en 1995 qui capte ces programmes, les indexe pour les mettre ensuite à la disposition des étudiants et des chercheurs.

Tout cela représente pourtant un coût colossal auquel l’INA comme la BBC britannique ou la RAI italienne, a du mal à faire fâce. Les clients d’archives sont pourtant de plus en plus nombreux, qu’il s’agisse des producteurs d’émissions de télévision ou encore des producteurs de DVD. L’extraordinaire essor de ce nouveau support constitue en effet une nouvelle chance pour les archives, puisque les « bonus » contenus dans ces documents sont très souvent alimentés par des archives qui viennent éclairer le film ou le documentaire présentés. La mode médiatique actuelle très centrée sur les hommages, les rétrospectives devrait aussi servir la cause des archives.

Il reste que la tâche qui consiste à numériser est immense, très coûteuse et pose aussi des problèmes de choix de documents. Puisqu’il est impossible de tout garder, il faut arriver à mettre en place des critères de conservation qui doivent être à la fois économiques et culturels. Cette question est d’autant plus complexe qu’elle touche aussi au problème des droits d’auteur. Pour exploiiter l’extrait d’une émission de variété, il faut par exemple payer l’interprète, le parolier et le compositeur.

C’est pour toutes ces raisons que « l’Appel de Paris », lancé par l’IFTA à la suite des actions menées par l’UNESCO et le Conseil de l’Europe, doit être d’urgence entendu et soutenu.

Appel mondial pour la sauvegarde des archives audiovisuelles
www.fiatifta.org/petition

Thierry Lancien

Quand la télévision nous teste

Quand la télévision nous teste

Le français dans le monde, n°333
Mai-juin 2004


Genre solidement installé dans les programmations depuis les débuts de la télévision, les jeux télévisés sont en plein essor et cherchent de plus en plus à tester les connaissances.

Lorsque Julien Lepers, le populaire animateur de Questions pour un champion (France 3) accueille sur son plateau des élèves de grandes écoles comme Polytechnique ou l’Aéronavale, la scène a de quoi étonner. Elle ne fait pourtant que traduire le succès toujours grandissant des jeux télévisés qui occupent les écrans français à toutes les heures de la journée.

Le phénomène n’est pas entièrement nouveau et tout le monde a en mémoire ne serait-ce que les titres de jeux célèbres comme la « Tête et les jambes » ou « Intervilles ». Ce qui l’est plus, c’est le développement rapide de jeux dits de connaissances qui peuvent prendre différentes formes : tests, questions à choix multiples, portant sur toutes sortes de sujets.

France 2 et M6 se sont ansi disputés récemment un jeu portant sur la connaissance du code de la route, tandis que Tf1 proposait un « Bac blanc » inspiré bien sûr du baccalauréat et censé tester à travers cinquante questions les programmes scolaires de la sixième à la terminale dans cinq matières : le français, la géographie, l’histoire, les mathématiques et les sciences de la vie et de la terre.

Le succès de ces émissions tient sûrement à leur mise en scène totalement renouvelée qui peut prendre différentes formes. Plutôt spectaculaire dans le cas du « Maillon faible » (TF1) où une animatrice style grande prétresse, distribue les appréciations « correcte » ou « incorrecte » dans un jeu de lumière semblabe aux éclairs des cérémonies druidiques. Plutôt sobre dans « Qui veut gagner des millions », la tension liée au questionnement étant ici soulignée par une lumière crue, une musique solennelle et le calme olympien de l’animateur qui n’est autre que le très populaire Jean-Pierre Foucauld.

L’autre clef du succès est bien sûr l’interactivité. Dans toutes ces émissions en effet il sagit d’impliquer le téléspectateur en montrant sur le plateau son représentant collectif à savoir le public, mais aussi en proposant des tests accessibles à un large public qui a l’impression de participer au jeu.

Cette passion pour les jeux est-elle spécifiquement française ? Certains le croient et expliquent que la France est le premier consommateur en Europe de cahiers de vacances et de logiciels ludo-éducatifs et que le marché de l’autoformation y est en pleine expansion.

L’examen de la situation dans d’autres pays d’Europe amène à être plus prudent. En effet si les jeux peuvent traduire des attitudes culturelles nationales, comme chez nous le goût pour l’orthographe (voir les « Dicos d’or » de Bernard Pivot), ces émissions sont en même temps celles qui se transnationalisent le plus facilement et sont reproductibes dans les grilles des chaînes européennes. « Le juste prix », créé aux Etats Unis, a fait en son temps le tour de l’Europe télévisuelle et « Qui veut gagner des millions » nous vient de Grande Bretagne et se décline dans de nombreuses langues.

Pour les chaînes le succès de ces jeux est une aubaine. En termes d’audience, ils permettent en effet de fidéliser le public et de le retenir pendant toute la durée de l’émission. Les produits dits « dérivés », c’est à dire les boîtes de jeux, les magazines, assurent quant à eux de jolies rentrées financières ainsi que la promotion du jeu. L’année dernière le jeu « Qui veut gagner des millions » s’est vendu en France à plus de 250.000 exemplaires allant presque jusqu’à détroner un monument national, le Monopoly.

Thierry Lancien

La télévision à la première personne

La télévision à la première personne
Le français dans le monde, n°332
Mars-avril 2004

Que l’on parle de "télévision psy" ou de "télévision de l’intimité", on désigne par là toutes ces émissions dont les acteurs sont des gens ordinaires qui viennent se confesser auprès d’un animateur et quelquefois d’un psychologue dans des dispositifs télévisuels qui peuvent varier.

Le fait qu’on les associe à une dérive récente de la télévision peut faire oublier que les émissions dites de l’intimité s’inscrivent dans un courant qui a maintenant une vingtaine d’années. C’est en effet au début des années 80 (rappelons que l’on sortait du monopole d’état de la télévision) que la réalisatrice Pacale Breugnot proposa pour la première fois sur Antenne 2 une « émission thérapie » intitulée Psy-show. Il s’agissait de sélectionner un couple vivant un conflit qu’il n’arrivait pas à résoudre et de le confronter à un montage tiré de huit à dix heures d’entretien.
Psy-show eut de nombreuses héritières, basées sur la confession, le dévoilement d’individus ordinaires dont la plus célèbre fut sans doute Bas les Masques de Mireille Dumas. Drames familiaux, histoires de couple, déviances étaient les thèmes de cette émission où tout pouvait être dit.
Différentes des reality-shows ou de la télé-réalité, car en principe sans spectacle et sans reconstitution, ces émissions nous présentent aujourd’hui, réunis autour d’un thème central, des anonymes qui viennent se confier encouragés par le public et quelquefois aidés par un psychologue.

Une télévision actrice

Pour leurs concepteurs et animateurs, ces émissions jouent un véritable rôle dans notre société car elles permettent d’aider les gens à trouver une solution à leurs problèmes qui ne seraient plus pris en charge par les structures traditionnelles de la famille et d’autres institutions. C’est bien pourquoi la sociologue Dominique Mehl voyait déjà pointer avec Psy-show (1) une télévision « actrice », qui ne se voulait plus seulement « intermédiaire » mais « protagoniste à part entière de la vie sociale ».
D’autres observateurs pourtant plus critiques font observer que ce type de programme contribue au moins à faire entrer dans le discours social des sujets restés longtemps tabous.

Des psychologues contestés

On imagine mal des psychologues consultant devant les caméras des plateaux, même s’il faut pourtant se rappeler que leur présence dans les médias n’est pas nouvelle. Qu’on se souvienne du succès qu’eut Françoise Dolto à la radio. Ce qui leur est reproché dans ce cas, par des psychanalystes comme Serge Tisseron (2), c’est de beaucoup simplifier les choses et de donner l’impression qu’il y a toujours une solution aux problèmes évoqués. Ils auraient d’autre part tendance à encourager l’individualisme et à ne jamais proposer de solutions collectives.

Une double thérapie ?

Si les participants à ces émissions cherchent de l’aide et la reconnaissance que donne une apparition en public, on peut se demander ce qui fait leurs succès auprès des téléspectateurs. Pour Dominique Mehl (3), bien au delà du simple voyeurisme, il y a une relation identitaire entre le téléspectateur et les personnes à l’écran. Le télespectateur regarde « ce que fait tel individu dans telle situation et se demande comment il agirait à sa place ».

Souvent considérées comme futiles et raccoleuses, les émissions de l’intimité pourraient donc plutôt être un miroir social et jouer un rôle de médiation comportementale.


(1) Dominique Mehl, La fenêtre et le miroir, Paris, Payot, 1992
(2) Interview de Serge Tisseron. Télérama, 26 novembre 2003
(3) Dominique Mehl, La télévision de l’intimité, Paris, Seuil, 1997

La télé-réalité

La télé-réalité

Le français dans le monde, n°325
Janv-fév 2003


Il y a un peu plus d’un an, l’émission Loft Story (M6) faisait son apparition dans le paysage audiovisuel français. Remportant vite un énorme succès d’audience, elle créait la surprise chez les acteurs du domaine et suscitait une vague de prises de position contradictoires chez les intellectuels.
Depuis les émissions dites de « télé-réalité »se sont multipliées et semblent s’installer durablement dans les programmations des chaînes privées.

Les origines du genre

Si le terme de « télé-réalité » est ambigu et sans doute mal choisi, il renvoit tout de même au fait qu’à leur origine ces émissions empruntent au genre documentaire et présentent des gens qui ne sont ni acteurs, ni journalistes, ni connus du grand public. Le succès de ces émissions et la fascination qu’elles peuvent exercer tient sans doute beaucoup au fait qu’elle nous montre des « vrais gens », auxquels il est plus facile de s’identifier qu’à des personnages de fiction.
L’une des premières émissions de ce type, « An american family life » qui fut diffusée aux Etats Unis en 1973, proposait ainsi au téléspectateur de suivre la vie d’une famille californienne dans les conditions de leur vie quotidienne. Le genre put même prendre une coloration sociale avec la diffusion en Grande Bretagne de « The family » montrant la vie quotienne d’une famille ouvrière près de Londres.
Petit à petit pourtant, la « télé-réalité » allait s’éloigner de cette même réalité en ayant recours à différents procédés. Il s’agira tout d’abord de ne plus suivre des individus dans leur cadre mais de les transporter dans un lieu nouveau et d’enregistrer leurs réactions (The real World, 1992). Interviendront ensuite la scénarisation qui consiste à introduire dans ce qui est filmé des ressorts dramatiques et surtout le jeu accompagné de gains importants (Expedition Robinson, 1997). Deux autres éléments viendont ensuite jouer un rôle très important dans ces émissions : le direct et l’interactivité. C’est avec Big Brother (99) qui a inspiré en Europe beaucoup d’autres émissions (comme Loft Story en France), qu’intervient le direct qui permet d’accentuer l’effet de réel. De nombreuses caméras traquent en permanence les faits, gestes et réactions des individus « condamnés » à vivre ensemble. L’interactivité elle va consister à faire intervenir le public pour l’élimination des personnages du « loft » ou encore pour l’élection des meilleurs talents de la chanson :Popstars.

La situation française.
Diffusée par M6 sur une idée de la chaîne néo-zélandaise TV2, cette émission qui s’inspire des spectacles de variétés nous montre le recrutement, la formation et le lancement d’un groupe de musique. Son succès s’inscrit pour M6 dans celui de Loft story qui lors de son apparition au printemps 2001 déstabilisa quelque peu le paysage des chaînes privées. La cadette de ces chaînes venait en effet menacer TF1 à ses heures de meilleure audience. Tentés un moment de ne pas céder aux charmes un peu sulfureux de la télé-réalité, les responsables de TF1 ont choisi depuis de ne pas avoir de tels scrupules et Star Academy est un succès.
Phénomène nouveau aussi, le succès de ces émissions se nourrit et s’accompage de multiples déclinaisons de produits dérivés (disques, vidéos, jeux de société) qui pourraient d’ailleurs à termes menacer certains secteurs de l’industrie culturelle, comme celui de la chanson.

Alors que le débat intellectuel autour des dangers ou des vertus de la « télévision réalité » s’est un peu essouflé, ce nouveau type de programmes est semble-t-il en train de s’installer de manière durable dans les grilles de nos chaînes, même si le service public résiste encore.

Thierry Lancien

mardi 2 mars 2010

Images violentes, violence des images

Images violentes, violence des images

Le français dans le monde, n°323
Sept-octobre 2002

L’actualité récente vient de relancer un débat récurrent, celui du rapport entre les images télé-cinématographiques et les actes de violence que peuvent commettre certains jeunes.



Les images de violence au cinéma et à la télévision favorisent-elles le passage à l’acte chez des jeunes qui en seraient trop imprégnées, c’est la question que fait resurgir le meutre d’une jeune fille par un adolescent qui a déclaré avoir commis ce geste sous l’emprise des images du film d’horreur « Scream ».
Si la télévision est montrée du doigt, pour avoir notamment programmé récemment ce film, la question n’est pas nouvelle et on ne compte plus les rapports commandés sur cette question par les pouvoirs publics. Si certaines enquêtes laissent apparaître un lien entre exposition à la violence et perturbations psychiques, les spécialistes sont de leur côté partagés.

Cinéma et réalité

Pour Serge Tisseron par exemple, un film violent ne peut en aucun cas être la cause d’un tel acte mais il peut par contre contribuer à le déclencher chez un sujet déjà gravement perturbé psychologiquement. Selon ce psychanalyste, spécialiste des images, il convient d’autre part de relier cette question à la nature des films concernés. Il n’y aurait pas un cinéma violent mais bien différentes catégories de films violents. Ainsi le cinéma des années 60/70, pouvait présenter des scènes très dures mais pour Serge Tisseron elles faisaient partie d’un monde étranger au spectateur et la distance de la fiction était maintenue. Le danger dans Scream viendrait au contraire du fait que toute l’ambiance du film est restituée dans un milieu familier aux adolescents.

Télévision et solitude

A ce danger représenté par un cinéma qui ne maintiendrait pas assez la distance de la fiction viendrait s’ajouter les risques du rapport à la télévision. Alors que le meilleur moyen d’échapper à l’impact traumatisant d’images violentes consiste à pouvoir en parler et à socialiser l’expérience vécue, la télévision aurait tendance à accentuer la solitude et à enfermer le téléspectateur dans celle-ci. C’est d’ailleurs pourquoi Marie-José Mondzain, philosophe et spécialiste des images, considère que le danger vient tout autant de certains genres télévisés que du cinéma. Pour elle la télévision repose sur un flux d’images qui suscitent l’adhésion immédiate et suspendent l’usage de la parole qui seule peut permettre une pensée critique des images. Le journal télévisé serait ainsi particulièrement dangereux car il transmet des images de mort, de violence, de catastrophe sur le mode de la participation au réel en dissimulant le travail télévisuel (choix des plans, montage). Du même coup se produit ce que la philosophe appelle « l’effet balcon » qui donne à croire que l’on voit le monde de sa fenêtre et sans médiation.

La nécessaire médiation

Et pour la plupart des cherceurs c’est bien cette question de la médiation qu’il faut mettre au centre des rapports que les jeunes entretiennent avec cinéma, jeux vidéo et télévision. Il peut s’agir de la médiation parentale et sociale qui permettra aux jeunes de parler de ces images, de les remettre en contexte. La médiation éducative, déjà très présente dans des cours d’éducation à l’image, devrait aider à combattre les processus d’identification et d’incorporation qu’engendre la télévision. La médiation journalistique a pour but de proposer un cadre d’analyse de ces images tandis que la médiation artistique fera sans doute toujours que certains films violents sont de véritables œuvres d’art où joue la distanciation tandis que d’autres ne sont que des produits industrialisés ne cherchant qu’à viser des cibles commerciales.

Thierry Lancien


Claude Allard, L’enfant au siècle des images, Albin Michel
Marie-José Mondzain, L’image peut-elle tuer ? Bayard, Collection Le temps d’une question, 2002
Serge Tisseron, Enfants sous influence, les écrans rendent-ils les jeunes violents ? Armand Colin, 2000

Election présidentielle et petit écran

Election présidentielle et petit écran

Le français dans le monde n°322
Juillet-août 2002



Si la question de l’influence des médias sur le choix des électeurs est régulièrement posée à l’occasion de nos différentes consultations électorales, le séisme politique intervenu le 21 avril a amené beaucoup de spécialistes à tenter de comprendre le rôle qu’avait pu jouer, dans ce contexte, le petit écran.



Insécurité et sentiment de peur

Même s’il est très difficile de mesurer l’impact exact d’images et de commentaires sur des téléspectateurs, comme le montrent la plupart des travaux sur la réception, il semble pourtant fort probable que le thème de l’insécurité qui a été omniprésent dans les journaux télévisés a entretenu un climat particulier dans le pays.
L’Observatoire du débat public, organisme d’analyse de l’actualité, s’est penché sur cette question et ses chercheurs ont montré, à partir d’un important corpus de journaux télévisés, que la couverture des faits de violence et de délinquance s’était accrue durant les mois qui ont précédé l’élection. Ils ont plus précisément constaté qu’à partir des évènements du 11 septembre, on était passé d’une violence globale à une violence locale. Dans une interview au journal Libération, Mariette Darrigrand, coresponsable de l’Observatoire expliquait ainsi : « Il y a eu dans les journaux télévisés une accumulation de faits de nature différente qui a donné l’impression que toutes les protections s’étaient écroulées, qu’on était dans la représentation d’un champ de ruines ». Cette représentation dramatique du monde à laquelle s’est ajouté un traitement souvent très complaisant des questions de violence et de délinquance, sur TF1 comme sur France 2, aurait donc créé chez le spectateur un sentiment de peur mais aussi de perte de repères qui pourrait expliquer une partie des votes d’extrème droite.

Splendeur et misère des sondages

Images traumatisantes mais aussi avalanche de chiffres, de pourcentages souvent déroutants. Plus que jamais les médias se sont nourris de sondages comme s’ils n’étaient pas capables de chercher à comprendre autrement l’opinion publique ni d’analyser la situation politique et electorale. A ce déficit du travail journalistique, il faut ajouter le fait que la plupart de ces sondages ont entretenu une véritable fiction puisqu’ils interrogeaient les Français sur le second tour, censé opposer forcément Chirac à Jospin, sans tenir compte de la configuration et des résultats du premier tour. Les instituts de sondage semblent avoir eux-mêmes reconnu leur échec puisqu’ils sont devenus quasiment muets entre les deux tours.

Absence de débats

Si l’absence d’analyse riche et diversifiée aura été l’une des caractéristiques de la couverture télévisuelle de cette campagne, l’absence de véritables débats lui aura fait écho. Cela peut s’expliquer conjoncturellement du fait du très grand nombre de candidats qui a rendu difficile la mise en place de ce type d’émission ou encore parce que la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour a privé les Français du grand débat démocratique de l’entre deux tours. Mais de telles explications ne doivent pas cacher le fait que le mouvement est plus profond et que la télévision semble se désintéresser des débats politiques dits classiques pour leur préférer des émissions hybrides comme Vivement dimanche (France 2) dans lesquelles priment le ludisme et le spectacle. On peut dès lors se demander si en participant à ce type d’émissions, les hommes politiques s’introduisent effectivement dans des univers plus familiers et quotidiens pour les téléspectateurs ou bien tendent à décrédibiliser leur parole et leur statut. Interrogé par le nouveau magazine Médias, Jean Mouchon faisait remarquer que la participation à ce genre de « shows » était à mettre en rapport avec le fait que de plus en plus « chaque protagoniste de la présidentielle se voit assigner une fonction médiatique précise, un mini répertoire conjugué à un look repérable ».
A cet égard, la place accordée par la télévision aux épouses des candidats aura été l’une des nouveautés de cette campagne et aura montré que la communication autour de l’image des candidats tend à devenir l’obsession des hommes politiques.

Thierry Lancien