lundi 8 mars 2010

Mettre en scène la parole littéraire

Le français dans le monde n°356
Mars-avril 2008

Comment parler de littérature à l’heure où la télévision mélange les genres et multiplie les effets spectaculaires aussi bien dans le contenu des émissions que dans leurs écritures visuelles ?

Pour certains observateurs, la télévision serait entrée depuis quelques années dans sa période post moderne. En témoigneraient par exemple le mélange des genres (télé-réalité, docu-fiction), les contenus provoquants et excessifs (confessions intimes, sujets dérangeants) mais aussi les écritures visuelles elles mêmes. Montages rapides, plans saccadés, cadrages étonnants tendent effectivement à prendre de plus en plus de place même dans des émissions jusque là fort classiques comme Métropolis sur Arte. Ce phénomène vient d’être d’ailleurs fort bien analysé par Gilles Lipovetsky et Jean Serroy dans leur livre « l’Ecran global » (Seuil, 2007).

Comment dés lors continuer à parler de littérature à la télévision ? Le genre se situe en effet aux antipodes de cette télévision de la vitesse et de l’excés et suppose du temps. Temps de l’écoute, temps de la parole, temps des plans qui nous les transmettent. Il suffit de cliquer sur le site de l’INA et d’ aller voirs les archives d’une émission culte des années cinquante, soixante, « Lectures pour tous » pour réaliser qu’un monde sépare bien la télévision d’hier de celle d’aujourd’hui. C’était l’époque des gros plans qui accompagnaient un véritable échange entre Pierre Dumayet et son invité. Nul souci alors du décor ou d’une quelconque scénographie. L’important était que la caméra arrive à nous restituer la qualité et l’intensité de l’échange.

Depuis cette époque, le genre n’a cessé d’être représenté dans les programmations. Bernard Pivot a régné en maître de 70 à 2000 sur la littérature au petit écran à travers des émissions comme : « Ouvrez le guillemets » « Apostrophes », « bouillon de culture » . D’autres grands noms comme ceux de Beranrd Rapp ou Michel Polac ont aussi été associés à cette aventure car ils ont cherché à innover dans les rapports compliqués entre littérature et télévision.

Aujourd’hui force est de constater que les émissions littéraires se raréfient et n’occupent plus que des cases de programmation tard dans la soirée ou tôt le matin. Elles peuvent aussi être dominicales, ce qui est le cas du « Bateau livre » programmé sur Arte et repris sur TV5 Monde.

Animée par Frédéric Ferney, cette émission traduit bien le souci de penser de manière originale la place de l’entretien littéraire dans un dispositif télévisuel contemporain. Le choix du lieu, une péniche en bord de Seine, donne son nom à l’émission et permet diverses métaphorisations. C’est ainsi que depuis quelques semaines l’animateur convie un « passager clandestin » qui est en fait un grand témoin des entretiens. Appartenant au monde des artistes (cinéma, chanson, théatre), ce passager est d’autre part censé élargir l’audience de l’émission.
La scénographie cherche elle à tirer parti d’un grand salon qui permet de varier les lieux d’échange, tandis que les entrertiens ou les chroniques des journalistes sont filmés de manière à accompagner la parole par des travellings lents.

A l’heure où la télévision cherche à changer certaines rêgles de sa visibilté, il semble plutôt que le Bateau livre cherche plus simplement à mettre en scène, de manière élégante, la parole littéraire.

Thierry Lancien

Le site www.ina.fr permet de consulter gratuitement ou en payant de nombreuses archives dont les 724 émissions d’Apostrophes de Bernard Pivot.