lundi 8 mars 2010

Débattre et riposter

Le français dans le monde n°355,
Janv-fév. 2008

Les débats culturels et de société demeurent un marqueur fort d’identité pour les chaînes du service public. « Esprits libres » sur France 2 et « Ripostes » sur France 3 en sont les actuels fleurons.

Alors que le patron de France Télévision, Patrick de Carolis avait annoncé en 2005 un virage culturel pour les chaînes du service public (France 2, France 3, France 4, France 5), beaucoup d’observateurs considèrent aujourd’hui que la télévision publique ne se démarque pas clairement du secteur privé.
Si la critique est en partie fondée, elle sous estime pourtant un type de programmes qui continue à fortement différencier la télévision publique de la télévision privée, à savoir les émissions dites de plateau qui présentent des débats culturels ou de société.
S’il s’agit là d’une tradition du service public puisque Monique Dagnaud (1) pouvait déjà remarquer en 1990 que « la télévision publique incline à privilégier l’échange d’idées par rapport à la preuve par l’image », le genre a sû aussi se renouveler. C’est ce que montre l’émission quotidienne « Ce soir ou jamais » sur France 3. Chaque soir en effet, Frédéric Taddeï y reçoit des invités pour décrypter notre époque dans un dispositif télévisuel en direct tout à fait original. Unanimement appréciée, « Ce soir ou jamais » rejoint donc les deux autres fleurons du service public, « Esprits libres » et « Ripostes ».
Pour cette dernière, chaque semaine depuis octobre 1999, Serge Moati convie le téléspectateur à un vrai débat d'idées, plus franc, plus vif et plus polémique que dans d’autres émissions. Des invités de la société civile et du monde politique, situés au coeur de l'actualité, viennent s'expliquer sur le plateau de "Ripostes", dans un climat de liberté et de tolérance. Alors que l’émission fêtait récemment son trois centième numéro, les thèmes abordés dans celle-ci témoignent de l’éclectisme de son animateur. Il a ainsi été question récemment du génocide du Rwanda, de la colonisation, de la crise des banlieues ou encore de l’Islam. Comme d’autre émissions de France 5, « Ripostes » présente la particularité de pouvoir être exploitée librement à des fins éducatives dans des établissements d’enseignement.
C’est aussi une nouvelle liberté de ton que revendique Guillaume Durand, animateur d’Esprits Libres. Après avoir présenté pendant cinq saisons le magazine culturel « Campus », Guillaume Durand a souhaité avec « Esprits libres », s’adapter au contexte socio-culturel récent. Il fait remarquer que « depuis quelques années, des voix se sont élevées pour dénoncer un climat trop aseptisé, trop ronronnant » et ajoute que par exemple : « Lors de la campagne pour le référendum, une partie des Français s’est sentie insuffisamment prise en compte dans les médias ». Pour lui cela vaut aussi pour le domaine culturel puisqu’il précise : « L’an dernier, une partie du public a eu l’impression qu’on voulait lui imposer de force le dernier Houellebecq. Il y a quelques jours encore, Télérama demandait : “Où sont passés les provocateurs ? » Du même coup Guillaume Durand pense qu’il faut « susciter, provoquer le débat, la confrontation des points de vue ». Il le fait dans une émission au décor très élégant et en accueillant une personnalité du monde culturel, très souvent un écrivain (récemment Patrick Modiano ou la romancière Marie Darieuseq) pour un premier entretien. Suit une table ronde qui réunit chroniqueurs, spécialistes et invités tandis que de courts portraits vidéo et des intermèdes musicaux rythment l’émission.
La tradition du débat d’idées reste donc bien présente à la télévision publique et c’est même sans doute l’une de ses dernières spécificités.

Thierry Lancien

(1) Dans un rapport remis alors au CSA. On peut aussi lire l’ouvrage récent de Monique Dagnaud, Comment la télévision fabrique la culture de masse, Armand colin, 2006
« Ripostes » et « Esprits libres » sont rediffusées sur TV5.
Sites à consulter www.france5.fr pour « Ripostes » et www.france 2.fr pour « Esprits Libres ».