mardi 2 mars 2010

Images violentes, violence des images

Images violentes, violence des images

Le français dans le monde, n°323
Sept-octobre 2002

L’actualité récente vient de relancer un débat récurrent, celui du rapport entre les images télé-cinématographiques et les actes de violence que peuvent commettre certains jeunes.



Les images de violence au cinéma et à la télévision favorisent-elles le passage à l’acte chez des jeunes qui en seraient trop imprégnées, c’est la question que fait resurgir le meutre d’une jeune fille par un adolescent qui a déclaré avoir commis ce geste sous l’emprise des images du film d’horreur « Scream ».
Si la télévision est montrée du doigt, pour avoir notamment programmé récemment ce film, la question n’est pas nouvelle et on ne compte plus les rapports commandés sur cette question par les pouvoirs publics. Si certaines enquêtes laissent apparaître un lien entre exposition à la violence et perturbations psychiques, les spécialistes sont de leur côté partagés.

Cinéma et réalité

Pour Serge Tisseron par exemple, un film violent ne peut en aucun cas être la cause d’un tel acte mais il peut par contre contribuer à le déclencher chez un sujet déjà gravement perturbé psychologiquement. Selon ce psychanalyste, spécialiste des images, il convient d’autre part de relier cette question à la nature des films concernés. Il n’y aurait pas un cinéma violent mais bien différentes catégories de films violents. Ainsi le cinéma des années 60/70, pouvait présenter des scènes très dures mais pour Serge Tisseron elles faisaient partie d’un monde étranger au spectateur et la distance de la fiction était maintenue. Le danger dans Scream viendrait au contraire du fait que toute l’ambiance du film est restituée dans un milieu familier aux adolescents.

Télévision et solitude

A ce danger représenté par un cinéma qui ne maintiendrait pas assez la distance de la fiction viendrait s’ajouter les risques du rapport à la télévision. Alors que le meilleur moyen d’échapper à l’impact traumatisant d’images violentes consiste à pouvoir en parler et à socialiser l’expérience vécue, la télévision aurait tendance à accentuer la solitude et à enfermer le téléspectateur dans celle-ci. C’est d’ailleurs pourquoi Marie-José Mondzain, philosophe et spécialiste des images, considère que le danger vient tout autant de certains genres télévisés que du cinéma. Pour elle la télévision repose sur un flux d’images qui suscitent l’adhésion immédiate et suspendent l’usage de la parole qui seule peut permettre une pensée critique des images. Le journal télévisé serait ainsi particulièrement dangereux car il transmet des images de mort, de violence, de catastrophe sur le mode de la participation au réel en dissimulant le travail télévisuel (choix des plans, montage). Du même coup se produit ce que la philosophe appelle « l’effet balcon » qui donne à croire que l’on voit le monde de sa fenêtre et sans médiation.

La nécessaire médiation

Et pour la plupart des cherceurs c’est bien cette question de la médiation qu’il faut mettre au centre des rapports que les jeunes entretiennent avec cinéma, jeux vidéo et télévision. Il peut s’agir de la médiation parentale et sociale qui permettra aux jeunes de parler de ces images, de les remettre en contexte. La médiation éducative, déjà très présente dans des cours d’éducation à l’image, devrait aider à combattre les processus d’identification et d’incorporation qu’engendre la télévision. La médiation journalistique a pour but de proposer un cadre d’analyse de ces images tandis que la médiation artistique fera sans doute toujours que certains films violents sont de véritables œuvres d’art où joue la distanciation tandis que d’autres ne sont que des produits industrialisés ne cherchant qu’à viser des cibles commerciales.

Thierry Lancien


Claude Allard, L’enfant au siècle des images, Albin Michel
Marie-José Mondzain, L’image peut-elle tuer ? Bayard, Collection Le temps d’une question, 2002
Serge Tisseron, Enfants sous influence, les écrans rendent-ils les jeunes violents ? Armand Colin, 2000