lundi 8 mars 2010

La télévision à la première personne

La télévision à la première personne
Le français dans le monde, n°332
Mars-avril 2004

Que l’on parle de "télévision psy" ou de "télévision de l’intimité", on désigne par là toutes ces émissions dont les acteurs sont des gens ordinaires qui viennent se confesser auprès d’un animateur et quelquefois d’un psychologue dans des dispositifs télévisuels qui peuvent varier.

Le fait qu’on les associe à une dérive récente de la télévision peut faire oublier que les émissions dites de l’intimité s’inscrivent dans un courant qui a maintenant une vingtaine d’années. C’est en effet au début des années 80 (rappelons que l’on sortait du monopole d’état de la télévision) que la réalisatrice Pacale Breugnot proposa pour la première fois sur Antenne 2 une « émission thérapie » intitulée Psy-show. Il s’agissait de sélectionner un couple vivant un conflit qu’il n’arrivait pas à résoudre et de le confronter à un montage tiré de huit à dix heures d’entretien.
Psy-show eut de nombreuses héritières, basées sur la confession, le dévoilement d’individus ordinaires dont la plus célèbre fut sans doute Bas les Masques de Mireille Dumas. Drames familiaux, histoires de couple, déviances étaient les thèmes de cette émission où tout pouvait être dit.
Différentes des reality-shows ou de la télé-réalité, car en principe sans spectacle et sans reconstitution, ces émissions nous présentent aujourd’hui, réunis autour d’un thème central, des anonymes qui viennent se confier encouragés par le public et quelquefois aidés par un psychologue.

Une télévision actrice

Pour leurs concepteurs et animateurs, ces émissions jouent un véritable rôle dans notre société car elles permettent d’aider les gens à trouver une solution à leurs problèmes qui ne seraient plus pris en charge par les structures traditionnelles de la famille et d’autres institutions. C’est bien pourquoi la sociologue Dominique Mehl voyait déjà pointer avec Psy-show (1) une télévision « actrice », qui ne se voulait plus seulement « intermédiaire » mais « protagoniste à part entière de la vie sociale ».
D’autres observateurs pourtant plus critiques font observer que ce type de programme contribue au moins à faire entrer dans le discours social des sujets restés longtemps tabous.

Des psychologues contestés

On imagine mal des psychologues consultant devant les caméras des plateaux, même s’il faut pourtant se rappeler que leur présence dans les médias n’est pas nouvelle. Qu’on se souvienne du succès qu’eut Françoise Dolto à la radio. Ce qui leur est reproché dans ce cas, par des psychanalystes comme Serge Tisseron (2), c’est de beaucoup simplifier les choses et de donner l’impression qu’il y a toujours une solution aux problèmes évoqués. Ils auraient d’autre part tendance à encourager l’individualisme et à ne jamais proposer de solutions collectives.

Une double thérapie ?

Si les participants à ces émissions cherchent de l’aide et la reconnaissance que donne une apparition en public, on peut se demander ce qui fait leurs succès auprès des téléspectateurs. Pour Dominique Mehl (3), bien au delà du simple voyeurisme, il y a une relation identitaire entre le téléspectateur et les personnes à l’écran. Le télespectateur regarde « ce que fait tel individu dans telle situation et se demande comment il agirait à sa place ».

Souvent considérées comme futiles et raccoleuses, les émissions de l’intimité pourraient donc plutôt être un miroir social et jouer un rôle de médiation comportementale.


(1) Dominique Mehl, La fenêtre et le miroir, Paris, Payot, 1992
(2) Interview de Serge Tisseron. Télérama, 26 novembre 2003
(3) Dominique Mehl, La télévision de l’intimité, Paris, Seuil, 1997